L’argent qui détruit, enquête sur les liens entre la BNP et l’agro-industrie
Davantage d’investissements dans les causes de la crise climatique que dans des solutions
Ce n’est pas seulement en investissant dans la production et la distribution de pétrole, de gaz ou de charbon que les banques financent le réchauffement climatique. Elles investissent aussi massivement dans l’agro-industrie, responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre… et d’atteintes aux droits humains.
En septembre dernier, la fédération internationale ActionAid et le centre de recherche indépendant Profundo ont publié les conclusions de leur enquête sur les investissements des plus grandes banques mondiales dans ces deux secteurs d’activité. L’enquête porte sur les prêts ou les garanties d’actions et d’obligations accordés par des établissements européens, nord-américains ou asiatiques, entre janvier 2016 et septembre 2022, pour des activités agro-industrielles ou l’exploitation d’énergies fossiles dans les 134 pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie.Ces pays ont été sélectionnés parce qu’ils composent le Groupe des 77 et de la Chine (G77) : une coalition qui s’est formée en 1964 pour défendre les intérêts des « pays en développement » dans les négociations internationales. Le G77 négocie, par exemple, les différents accords contre le réchauffement climatique, au même titre que l’Union européenne ou les États-Unis. Les conclusions de cette enquête sont malheureusement sans appel…
Au cours des 7 années qui ont suivi l’Accord de Paris, conclu en 2015 pour tenter de freiner le réchauffement climatique, les principales institutions financières du monde ont investi environ 369,2 milliards de dollars dans de grandes entreprises agro-industrielles opérant dans ces pays. Cela représente environ 53 milliards de dollars par an.À titre de comparaison, le soutien financier apporté par les pays industrialisés pour des actions d’adaptation ou de réduction du changement climatique dans ces pays est estimé à 24,5 milliards de dollars pour l’année 2020, dans l’hypothèse la plus haute.Depuis la signature de l’Accord de Paris, les activités agro-industrielles ont donc été financées 2 fois plus que les activités permettant de résister à la crise climatique.
Comment les banques françaises investissent dans le réchauffement climatique
L’une des raisons pour lesquelles les banques tiennent une place si particulière dans le financement de l’agro-industrie tient au niveau d’endettement des entreprises concernées. Or, parmi les plus grands financeurs de l’agro-industrie au niveau mondial, on trouve des banques européennes et notamment françaises.BNP Paribas, le Crédit Agricole et la Société Générale (SG) font partie des bailleurs de fonds les plus importants de sociétés comme Archers-Daniel-Midland (ADM), Bunge, Cargill et le groupe Louis Dreyfus. Ces 4 sociétés en particulier contrôlent 90% du commerce mondial des céréales, et des pans entiers de la chaîne de transformation alimentaire. On les désigne parfois comme les « ABCD ».Moins connues du grand public que les grands groupes pétroliers ou informatiques, les ABCD s’en approchent par leur poids économique… et par le manque de scrupules.
Ainsi, leur rôle est déterminant sur le prix des denrées alimentaires… Présentes à la fois sur les « marchés physiques » (commerce de produits agricoles) et sur les « marchés financiers» (activités d’assurance, gestion de fonds spéculatifs…), elles ont contribué à la flambée des prix depuis 2022, avec des conséquences dramatiques dans les régions les plus pauvres de la planète (où certains prix ont été multipliés par trois).
D’autre part, les ABCD ont un impact très important sur l’environnement et contribuent au réchauffement climatique à travers la production et le recours massif à des engrais de synthèse, la déforestation, et l’élevage intensif de bovins.L’entreprise Cargill, dont la BNP est le principal financeur, est régulièrement pointée du doigt pour son rôle dans la déforestation au Brésil, par exemple, mais aussi pour l’existence de travail forcé (c’est-à-dire sous la menace) dans sa chaîne d’approvisionnement.
BNP Paribas devrait montrer l’exemple… mais ce n’est pas le cas
BNP Paribas est la deuxième banque la plus riche d’Europe. Ses choix d’investissements ont donc des répercussions importantes. C’est pourquoi nous avons décidé de prolonger l’enquête en nous intéressant à cette banque française.
Notre rapport montre que, malgré des engagements ambitieux en théorie, la banque n’a jamais cessé d’investir dans l’agro-industrie et ne semble pas faire grand cas des alertes de la société civile…Ainsi, entre 2013 et 2022, BNP Paribas a investi 13 milliards de dollars dans des projets agro-industriels dans les pays du G77. La banque soutient directement, par des investissements colossaux, des multinationales comme Cargill, Marfrig ou JBS (qui représente un quart du marché mondial de boeuf).
Ces sociétés sont régulièrement pointées du doigt, voire sanctionnées, pour leur responsabilité dans des accaparements de terre, du travail forcé, de la déforestation… Pourtant, BNP Paribas n’a jamais cessé d’investir dans ces entreprises. Au cours des 5 dernières années, elle aurait ainsi investi près de 4 milliards de dollars dans les activités de Cargill.
Dans son plan de vigilance de 2022, la banque considère elle-même que le secteur de l’agriculture et de l’alimentation est celui qui présente le plus de risques pour les droits humains et l’environnement. Mais c’est dans ce domaine qu’elle présente le moins de mesures de prévention, et les moins convaincantes !