L’OCDE alerte sur la chute historique de l’aide publique au développement mondiale

En 2024, les pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) ont versé 212,1 milliards de dollars, soit 0,33 % de leur revenu national brut combiné. Cette baisse touche la quasi-totalité des grands postes budgétaires : diminution de l’aide humanitaire (-9,6 %) et recul de l’aide à l’Ukraine (-16,7 %). La part de l’APD destinée aux pays les moins avancés diminue elle aussi de 3 %, alors même que ces derniers en ont le plus besoin.
Ce recul intervient dans un contexte où les besoins mondiaux n’ont jamais été aussi pressants : crises humanitaires, dérèglement climatique, insécurité alimentaire, conflits prolongés. En 2024, 22 pays membres du CAD ont réduit leur effort financier, et les perspectives pour 2025 sont encore plus inquiétantes.
En apparence, la France échappe à la baisse globale et stabilise son volume d’aide au développement. Mais que cela cache-t-il ?
Son volume d’APD reste stable à 15,4 milliards de dollars, mais cette stabilité masque un changement structurel inquiétant : une hausse de 21 % de l’aide sous forme de prêts pour compenser la baisse des dons. Cette évolution, moins favorable aux pays bénéficiaires, remet en question la qualité de l’aide française. Les prêts, bien que comptabilisés en APD, ne présentent pas le même impact en matière de solidarité internationale, car ils engendrent des dettes pour les pays bénéficiaires. De plus, cette stratégie ne permet pas de répondre efficacement aux besoins humanitaires urgents ou au financement de biens publics mondiaux.
Alors que la France avait adopté en 2021 la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, fixant l’objectif de 0,7 % du RNB consacré à l’APD, elle reste loin du compte, stagnant à environ 0,5 % en 2024.
La France se positionne comme le cinquième donateur en volume en 2024 avec 15,4 milliards de dollars d’APD (14,3 milliards d’euros). En proportion de sa richesse, la France consacre 0,48 % de son RNB à l’APD en 2024. Ce chiffre reste largement inférieur à l’objectif de 0,66 % inscrit dans la loi adoptée en 2021. Ce retard place la France au 10ᵉ rang des donateurs du CAD en part du RNB, loin derrière les pays les plus engagés.
Les perspectives pour 2025 sont préoccupantes. La loi de finances adoptée en fin d’année 2024 prévoit une coupe de 2,1 milliards d’euros sur l‘APD. Si elle se confirme, cette trajectoire rompra avec les engagements politiques pris au niveau national et international.
Un recul généralisé en Europe, une solidarité menacée
L’alerte est aussi européenne. CONCORD constate une baisse de 8,6 % de l’APD des États membres de l’Union européenne en 2024, et dénonce l’orientation d’une part croissante de l’aide vers des dépenses internes, comme les coûts liés à l’accueil des réfugié·es. La qualité et la transparence de l’aide sont en question, alors que seuls trois États membres (Danemark, Luxembourg, Suède) respectent l’objectif de 0,7 % du RNB.
Cette dynamique pourrait s’aggraver en 2025. L’OCDE anticipe une baisse supplémentaire de l’APD des pays du CAD comprise entre 9 % et 17 %, une baisse potentielle qui constituerait la plus importante baisse depuis la comptabilisation de l’APD par l’OCDE. Dix des principaux pays donateurs européens ont d’ores et déjà annoncé une réduction conjointe de 18 milliards de dollars entre 2023 et 2025, dont 9,2 milliards pour l’Allemagne, 2,6 milliards pour la France et 2,2 milliards pour le Royaume-Uni.
Des avancées remises en question
Les réductions actuelles de l’aide publique au développement mettent en péril des avancées majeures obtenues ces dernières décennies. Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans a chuté de plus de 60 % depuis 19901, les nouvelles infections au VIH/SIDA ont diminué de 60% depuis le pic des infections en 19952 et des maladies autrefois mortelles comme la poliomyélite sont sur le point d’être éradiquées, avec une baisse de 99 % des cas depuis 19883.
En Afrique subsaharienne, la part des enfants non scolarisés aux niveaux primaire et secondaire est passée de 44 % à 29 % entre 2000 et 20204.
Mais l’inaction aurait un coût humain colossal. Les coupes américaines seules pourraient entraîner plus de 1,6 million de morts liées au VIH et 550 000 à la malnutrition, selon le New York Times⁵.
Chaque euro « économisé » aujourd’hui au détriment de la solidarité internationale et des biens publics mondiaux creuse une dette sociale, économique et humaine pour les générations futures.
Et maintenant ?
La baisse de l’APD n’est pas une fatalité. Elle est le fruit d’arbitrages budgétaires qui relèvent de choix politiques. Dans un contexte d’interdépendance mondiale renforcée, où les crises traversent les frontières, le repli sur soi est une illusion dangereuse. L’APD représente moins de 1 % du budget de l’État français, mais son impact est déterminant pour des millions de personnes.
Renforcer l’APD, c’est contribuer à la réduction de la pauvreté, à la construction de sociétés résilientes, à la protection des biens publics mondiaux. C’est aussi renforcer la crédibilité internationale de la France et de l’Europe, à un moment où la solidarité internationale est mise à rude épreuve.
Dans les mois à venir, les mobilisations de la société civile seront décisives pour rappeler que la solidarité est une nécessité pour notre avenir commun. Le respect des engagements législatifs, la mobilisation de financements innovants comme la taxe sur les transactions financières ou la taxe sur les billets d’avion, et la priorité donnée à l’aide sous forme de dons sont autant de leviers pour réorienter la trajectoire actuelle.
Cette tendance intervient à quelques mois d’échéances décisives. La 4e Conférence des Nations Unies sur le financement du développement (FfD4), prévue fin juin 2025 à Séville, doit permettre de repenser en profondeur les mécanismes de solidarité internationale. Mais dans l’immédiat, les coupes budgétaires prévues pour 2025, notamment en France, risquent d’entraver la capacité collective à agir.
Coordination SUD a salué le renouvellement de l’engagement de la France en faveur de la solidarité internationale lors du Conseil présidentiel pour les partenariats internationaux du 4 avril dernier et appelle à une traduction concrète de ces engagements dans le budget 2026.
Alors que les demandes pour renforcer des dispositifs existants comme la taxe sur les transactions financières (TTF) se multiplient, le débat sur les ressources doit être replacé au cœur de l’agenda politique.
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